Je travaille en pouponnière double auprès de 10 enfants âgés entre 8 et 16 mois. Nous vivons régulièrement des périodes intenses de « mordage ». Bien que nous arrivions à éviter plusieurs morsures, d’autres surviennent sans que nous ayons eu le temps d’intervenir. Nous ne savons plus quoi faire pour dissuader les enfants de mordre. Nous avons essayé les anneaux de dentition, les « j’aime pas ça » « non » « bobo » et le retrait, mais rien ne semble durer. Les parents commencent à en avoir marre d’apprendre que leur enfant a été mordu ou a mordu.»
Comportement exaspérant, s’il en est un, que celui d’un enfant qui mord, davantage que les coups, les griffures ou les bousculades. Et que dire de la morsure au visage qui renvoie au sentiment d’une conduite animale. Bien que la grande majorité des morsures soient sans gravité, elle demeure une source de stress qu’on ne souhaite pas voir durer.
Des besoins derrière le comportement
Différentes raisons peuvent expliquer les morsures. Le plus souvent, il y a des besoins non comblés qui se trouvent derrière ce comportement. Certains enfants mordent parce qu’ils commencent à faire leurs dents ce qui peut être le cas chez des plus petits, d’autres pour expérimenter la texture et le goût ou pour attirer l’attention. Il y a aussi ceux qui le font soit pour se défendre lorsqu’ils se sentent menacés, soit pour obtenir un jouet, une place ou un espace vital convoité, pour tenter d’entrer en contact avec un semblable, pour imiter d’autres qui mordent ou pour exprimer une émotion forte (frustration, joie, affection, etc.). À deux ans, l’enfant « n’a pas l’intention de faire mal et ne réalise pas vraiment le lien entre son acte et la souffrance de l’autre. Il teste son pouvoir de déclencher des cris », précise la psychologue, Isabelle Filliozat1.
Souvent, les morsures débutent comme des gestes d’exploration2. Dans tous les cas, le manque de contrôle est en cause. Le langage fait aussi très souvent défaut au mordeur. L’action le fascine, il agit par impulsivité qui s’explique par l’immaturité de son cortex préfrontal, cette partie du cerveau qui permet de maîtriser des pulsions, d’anticiper, de devenir responsable.
Les travaux du chercheur québécois Richard Tremblay montrent que l’agressivité serait innée et qu’elle apparaîtrait entre 18 et 24 mois3. Si le tout-petit a une tendance naturelle à agresser les autres, il devra cependant apprendre à ne pas le faire. C’est entre l’âge de 2 et 5 ans que s’établissent les bases de cet apprentissage, qui sera déterminant pour la suite du développement social.
Bien qu’il n’existe pas de solutions miracles face aux enfants qui mordent, on peut compter sur des moyens susceptibles d’aider à traverser les périodes difficiles.
Comment agir lors de l’incident?
Les questions ci-dessous vous aideront à mieux comprendre l’impact de l’environnement physique et humain sur l’enfant et les situations à risques, et à orienter vos agissements avec un meilleur éclairage. Sans doute que l’expérience et le professionnalisme de collègues qui ont œuvré ou œuvrent dans ce groupe d’âge pourront aussi vous éclairer.
Pistes d’observation |
Observations, commentaires, moyens pour soutenir l’enfant |
Ce type de comportement survient-il davantage quand l’enfant a faim, surmené, frustré ou surexcité? | |
Cela arrive-t-il davantage lorsque vous êtes occupée? | |
Y aurait-il trop de bruits, de tensions, de personnes dans l’environnement de l’enfant? | |
Que savez-vous de l’enfant mordu? S’agit-il du même enfant? | |
Est-ce que certains moments de la semaine ou de la journée sont plus propices à l’émergence de ce comportement? | |
Est-ce que l’horaire est adapté aux besoins de l’enfant? | |
Les jouets favoris sont-ils offerts en plusieurs exemplaires identiques? | |
Accordez-vous une présence suffisante et chaleureuse au « mordeur » notamment lors des soins et des routines? En vous mettant à sa hauteur durant les périodes de jeux? Lorsque l’enfant se comporte de façon acceptable? | |
Renforcez-vous les comportements prosociaux, si minimes soient-ils chez le mordeur? Le valorisez-vous au moment opportun? | |
Est-ce que vous en voulez à l’enfant mordeur? Est-ce que vous le réprimandez souvent? En faites un bouc émissaire? | |
Avez-vous observé l’enfant qui est la victime? Aurait-il provoqué la colère du mordeur? | |
Est-ce que vous travaillez sur la problématique en collaboration avec les autres membres du personnel? |
Comment agir en prévention?
Même s’il est difficile d’anticiper ou de prévenir les morsures entre enfants, et qu’il n’existe pas de recette miracle, il y a des moyens susceptibles de prévenir ces situations, à tout le moins en partie.
Comment parler de la situation avec les parents?
Le cas d’un enfant qui en mord un autre est une véritable épreuve non seulement pour les parents de la victime, mais aussi pour ceux du mordeur. Il faut dire qu’on associe vite « enfant qui mord » à « mauvais parents ».
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À PROSCRIRE5
L’agressivité qui perdure
Il arrive qu’un petit ne parvienne pas à moduler sa colère, qu’il la retourne de manière intense et répétée contre ses pairs ou contre lui-même. On peut alors parler de véritable problème d’agressivité6. Si les stratégies mises en place demeurent inefficaces et s’accompagnent d’autres difficultés, une consultation auprès de professionnels s’impose.
De manière générale, avec de la patience, de la constance, des connaissances pour aider l’enfant à faire des demandes de façon appropriée, à s’exprimer avec des mots, la période de « mordage » finit par passer. Rappelons que la socialisation est un long processus qui nécessite le développement des habiletés motrices, langagières et cognitives permettant à l’enfant de contrôler ses pulsions et de faire preuve d’empathie.
Les enfants ont tant à nous apprendre : observons-les, comprenons comment ils pensent à la lumière des découvertes en neuropsychologie. Nous saurons ainsi mieux leur faire vivre leur petite enfance et les préparer aux étapes ultérieures de leur développement.
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BIBLIOGRAPHIE
Brazelton, B. Points forts : de la naissance à 3 ans, Éd. Stock-Laurence Pernoud, 1994.
CPE-BC MAGIMUSE. Ayoye! Dans mon groupe, y’a un crocodile! Capsule Soutien no 21 (consulté dans Internet en juillet 2023).
Filliozat, Isabelle. « J’ai tout essayé! » Poche Marabout. 2011.
Giber, Anaïs (2023). Enfant qui mord : les causes principales et les bons gestes à adopter dans
Dentaly.org. (consulté dans Internet en août 2023).
Junier Héloïse, Podcast Les enfants qui mordent, griffent, tapent. Les pros de la petite enfance.
4 décembre 2020 (consulté dans Internet en août 2023).
Lemay. Émilie. Les morsures : attention, petit crocodile en liberté. Cible Petite Enfance (consulté dans Internet en août 2023).
Martin, J., Poulin C., et I. Falardeau. Le bébé en services éducatifs. PUQ, 2009, p. 251.
Papalia, D. et G. Martorel. Psychologie du développement de l’enfant, 9e éd. 2018, p. 221.
Rousseau, Jessica. Comment intervenir avec un enfant qui mord? MamanÉducatrucs (consulté dans Internet en août 2023).
1Filliozat, Isabelle. « J’ai tout essayé! » Poche Marabout. 2011, p. 88.
2Brazelton, Points forts : de la naissance à 3 ans, Éd. Stock-Laurence Pernoud, 1994, p. 210.
3Tremblay, Richard cité par Diana E Papalia et G. Martorel dans Psychologie du développement de l’enfant, 9e éd. 2018, p. 221.
4Martin, J., Poulin C., et I. Falardeau. Le bébé en services éducatifs, PUQ, 2009, p. 251.
5La Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance (article 5.2) stipule que le prestataire… « ne peut, notamment, appliquer des mesures dégradantes ou abusives, faire usage de punitions exagérées, de dénigrement ou de menaces ou utiliser un langage abusif ou désobligeant susceptible d’humilier un enfant, de lui faire peur ou de porter atteinte à sa dignité ou à son estime de soi. Il ne peut également tolérer des personnes à son emploi de tels comportements. » Voir le Guide sur la prévention et le traitement des attitudes et des pratiques inappropriées du ministère de la Famille du Québec, 2018.
6Martin, J., Poulin C., et I. Falardeau. Le bébé en services éducatifs, PUQ, 2009, p. 255.