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LE BLOGUE

Des petits qui mordent : qu’ont-ils à nous apprendre?

Je travaille en pouponnière double auprès de 10 enfants âgés entre 8 et 16 mois. Nous vivons régulièrement des périodes intenses de « mordage ». Bien que nous arrivions à éviter plusieurs morsures, d’autres surviennent sans que nous ayons eu le temps d’intervenir. Nous ne savons plus quoi faire pour dissuader les enfants de mordre. Nous avons essayé les anneaux de dentition, les « j’aime pas ça » « non » « bobo » et le retrait, mais rien ne semble durer. Les parents commencent à en avoir marre d’apprendre que leur enfant a été mordu ou a mordu.»

Par Nicole Malenfant

Comportement exaspérant, s’il en est un, que celui d’un enfant qui mord, davantage que les coups, les griffures ou les bousculades. Et que dire de la morsure au visage qui renvoie au sentiment d’une conduite animale. Bien que la grande majorité des morsures soient sans gravité, elle demeure une source de stress qu’on ne souhaite pas voir durer.

Des besoins derrière le comportement

Différentes raisons peuvent expliquer les morsures. Le plus souvent, il y a des besoins non comblés qui se trouvent derrière ce comportement. Certains enfants mordent parce qu’ils commencent à faire leurs dents ce qui peut être le cas chez des plus petits, d’autres pour expérimenter la texture et le goût ou pour attirer l’attention. Il y a aussi ceux qui le font soit pour se défendre lorsqu’ils se sentent menacés, soit pour obtenir un jouet, une place ou un espace vital convoité, pour tenter d’entrer en contact avec un semblable, pour imiter d’autres qui mordent ou pour exprimer une émotion forte (frustration, joie, affection, etc.). À deux ans, l’enfant « n’a pas l’intention de faire mal et ne réalise pas vraiment le lien entre son acte et la souffrance de l’autre. Il teste son pouvoir de déclencher des cris », précise la psychologue, Isabelle Filliozat1.

Souvent, les morsures débutent comme des gestes d’exploration2. Dans tous les cas, le manque de contrôle est en cause. Le langage fait aussi très souvent défaut au mordeur. L’action le fascine, il agit par impulsivité qui s’explique par l’immaturité de son cortex préfrontal, cette partie du cerveau qui permet de maîtriser des pulsions, d’anticiper, de devenir responsable.

Les travaux du chercheur québécois Richard Tremblay montrent que l’agressivité serait innée et qu’elle apparaîtrait entre 18 et 24 mois3. Si le tout-petit a une tendance naturelle à agresser les autres, il devra cependant apprendre à ne pas le faire. C’est entre l’âge de 2 et 5 ans que s’établissent les bases de cet apprentissage, qui sera déterminant pour la suite du développement social.

Bien qu’il n’existe pas de solutions miracles face aux enfants qui mordent, on peut compter sur des moyens susceptibles d’aider à traverser les périodes difficiles.

Comment agir lors de l’incident?

  1. Dites clairement et fermement au mordeur « non » ou « stop ». Gardez votre calme même si la situation vous exaspère au plus haut point. Respirez… Rappelez-vous que c’est vous la personne mature et non l’enfant, et que vous devez agir en conséquence. Utilisez peu de mots : Je ne veux pas que tu fasses mal aux autres enfants » ou « Je ne te laisserai pas faire mal à…»4. Il n’est pas question de faire la morale à l’enfant.
  2. Éloignez l’enfant mordeur de sa cible. Assurez-vous qu’il ne recommencera pas avec d’autres de ses semblables le temps de vous occuper de l’enfant agressé. Offrez-lui de quoi rediriger son attention et gardez-le sous la surveillance étroite d’un adulte ou près de vous.
  3. Occupez-vous de l’enfant agressé. Prodiguez-lui les premiers soins, consolez-le. Remplissez un rapport d’accident en bonne et due forme.
  4. Limitez l’attention même négative accordée à l’enfant qui a mordu. Inutile de lui en vouloir ou de l’ignorer le reste de la journée.
  5. Investiguez ce qui a pu amener l’enfant à mordre. Notez des observations pour vous permettre de prendre un recul et mettre des moyens en place pour gérer les tentations.

Les questions ci-dessous vous aideront à mieux comprendre l’impact de l’environnement physique et humain sur l’enfant et les situations à risques, et à orienter vos agissements avec un meilleur éclairage. Sans doute que l’expérience et le professionnalisme de collègues qui ont œuvré ou œuvrent dans ce groupe d’âge pourront aussi vous éclairer.

Pistes d’observation

Observations, commentaires, moyens pour soutenir l’enfant

Ce type de comportement survient-il davantage quand l’enfant a faim, surmené, frustré ou surexcité?
Cela arrive-t-il davantage lorsque vous êtes occupée?
Y aurait-il trop de bruits, de tensions, de personnes dans l’environnement de l’enfant?
Que savez-vous de l’enfant mordu? S’agit-il du même enfant?
Est-ce que certains moments de la semaine ou de la journée sont plus propices à l’émergence de ce comportement?
Est-ce que l’horaire est adapté aux besoins de l’enfant?
Les jouets favoris sont-ils offerts en plusieurs exemplaires identiques?
Accordez-vous une présence suffisante et chaleureuse au « mordeur » notamment lors des soins et des routines? En vous mettant à sa hauteur durant les périodes de jeux? Lorsque l’enfant se comporte de façon acceptable?
Renforcez-vous les comportements prosociaux, si minimes soient-ils chez le mordeur? Le valorisez-vous au moment opportun?
Est-ce que vous en voulez à l’enfant mordeur? Est-ce que vous le réprimandez souvent? En faites un bouc émissaire?
Avez-vous observé l’enfant qui est la victime? Aurait-il provoqué la colère du mordeur?
Est-ce que vous travaillez sur la problématique en collaboration avec les autres membres du personnel?

Comment agir en prévention?

Même s’il est difficile d’anticiper ou de prévenir les morsures entre enfants, et qu’il n’existe pas de recette miracle, il y a des moyens susceptibles de prévenir ces situations, à tout le moins en partie.

  1. Court-circuitez le geste de l’enfant qui s’apprête à mordre : « Tu aimerais avoir le jouet de Logan? On va lui demander… »
  2. Aménagez les lieux pour profiter d’une vue d’ensemble optimale et positionnez-vous de manière à voir le plus possible ce qui se passe dans le groupe d’enfants. Faites en sorte que les enfants sentent votre présence. Aménagez un petit coin calme à l’écart où l’enfant peut s’amuser seul. En groupe double, divisez les tâches pour qu’une éducatrice ou un éducateur demeure près des enfants en interagissant chaleureusement avec eux pendant que l’autre vaque à des occupations comme le changement de couche.
  3. Gardez près de vous l’enfant enclin à mordre si vous êtes seule avec le groupe. Préparez un bac avec des jouets que l’enfant aime beaucoup. Invitez-le à jouer près de vous. Variez les jouets selon les intérêts de l’enfant. Vous pouvez circonscrire la zone de jeu avec un cerceau ou du ruban à masquer.
  4. Revoyez l’organisation des tâches avec votre collègue afin de diminuer la durée des périodes en grand groupe. Rappelez-vous que plus nombreux sont les enfants dans un même lieu et lors d’une même activité, plus élevés sont les risques de morsure. Le bruit, la promiscuité, les pleurs créent de l’anxiété qui peut se traduire par des gestes agressifs.
  5. Prévoyez le plus de temps possible à l’extérieur. Les enfants ont alors l’occasion de libérer leur énergie débordante, de courir, de crier, de faire des choix, etc.
  6. Offrez des jeux sensoriels : pétrir ou aplatir de la pâte à modeler, froisser du papier, faire rouler des balles, jouer dans l’eau ou la neige, etc.
  7. Faites vivre des émotions positives lors des contacts physiques et les tête-à-tête avec l’enfant susceptible de mordre.
  8. Mettez à la disposition des enfants des objets à mordiller à volonté.
  9. Montrez à l’enfant comment entrer en contact avec ses pairs : caresse, toucher en douceur, etc. « Oui, comme ça… Doux, doux avec Léonie. » On peut utiliser ce qu’on appelle la guidance physique qui consiste à prendre la main de l’enfant pour faire une caresse. L’enfant pourra petit à petit le faire par lui-même.
  10. Stimulez le langage de l’enfant pour lui donner des outils pour s’exprimer. Tous les moments de vie sont propices pour développer les habiletés langagières.
  11. Proposez encore et encore à l’enfant des mots pour remplacer ses gestes maladroits. « Dis-lui : Non, je ne veux pas. » Répétez et faites preuve de patience.
  12. Aidez l’enfant qui est souvent victime d’agression à s’affirmer, à prendre sa place, à trouver des solutions.

Comment parler de la situation avec les parents?

Le cas d’un enfant qui en mord un autre est une véritable épreuve non seulement pour les parents de la victime, mais aussi pour ceux du mordeur. Il faut dire qu’on associe vite « enfant qui mord » à « mauvais parents ».

  1. Informez les parents des faits connus (éviter les suppositions si vous n’avez pas été témoins), de ce qui a été fait pour les premiers soins, pour le réconforter, comment il est retourné jouer. Les parents ont le droit de savoir.
  2. Offrez vos excuses (eh oui) : « Je suis vraiment désolée de la situation. Les parents s’apaiseront s’ils sentent que vous comprenez leur émotion.
  3. Gardez confidentiels le prénom et le nom des enfants concernés.
  4. Rassurez les parents que leur enfant mordeur n’est pas pour autant un délinquant en puissance et qu’ils ne sont pas de mauvais parents. Encouragez-les à persévérer dans leur rôle éducatif notamment en ce qui a trait à l’autonomie et au langage. En les écoutant parler de leur vécu, vous leur permettez aussi d’aider leur enfant. Informez-les que leur petit, en agissant ainsi, ne cherche pas à faire mal à l’autre, trop immature qu’il est sur le plan cérébral pour se mettre à la place des autres enfants.
  5. Pensez à rapporter aux parents les « bons coups » de leur chérubin : un nouveau mot, sa participation au rangement, un cri à la place d’une morsure pour tenter de se faire comprendre, un geste d’offrande, la capacité de se contrôler lors d’un moment d’attente, plus d’autonomie à la sieste, etc.
  6. Parlez aux parents dès la rentrée de leur enfant en CPE ou à la garderie du risque de morsure entre enfants. « Des morsures peuvent arriver vu l’âge des enfants et le contexte de vie en groupe. » Informez-les de ce que vous mettrez en place pour prévenir le problème au mieux possible.

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À PROSCRIRE5

  1. Mordre l’enfant qui a mordu, ou faire semblant de le faire ou riposter par un autre geste violent (crier, prendre l’enfant par le bras brusquement, l’humilier, le menacer, etc.).
  2. Isoler l’enfant agressif de ses pairs (l’attacher dans une chaise en hauteur) et des activités, l’ignorer après l’incident.
  3. Révéler l’identité de l’enfant mordeur, ce qui contreviendrait aux règles d’éthique de
  4. la profession.
  5. Proposer un citron dans lequel l’enfant peut mordre lorsqu’il montre des signes d’attaque.
  6. Vaporiser un jet d’eau sur le mordeur comme on peut le faire avec un chat.
  7. Demander au mordeur de s’excuser auprès du “mordu”. L’enfant ne comprend pas encore le sens des excuses. Demander de lui faire un câlin? Ce dernier n’en a certainement pas envie. Pour ce qui est du geste bien intentionné de réparation comme l’application de glace ou d’une débarbouillette sur le bobo de la victime, cette astuce pourrait être perçue comme un jeu et donner le goût de recommencer. À utiliser avec beaucoup de discernement. En principe, l’enfant mordeur ne devrait pas obtenir de gain du fait d’avoir mordu.
  8. Donner une étiquette à l’enfant : c’est un mordeur celui-là, c’est la petite crocodile de mon groupe…
  9. Surprotéger les enfants susceptibles de subir une agression.

L’agressivité qui perdure

Il arrive qu’un petit ne parvienne pas à moduler sa colère, qu’il la retourne de manière intense et répétée contre ses pairs ou contre lui-même. On peut alors parler de véritable problème d’agressivité6. Si les stratégies mises en place demeurent inefficaces et s’accompagnent d’autres difficultés, une consultation auprès de professionnels s’impose.

De manière générale, avec de la patience, de la constance, des connaissances pour aider l’enfant à faire des demandes de façon appropriée, à s’exprimer avec des mots, la période de « mordage » finit par passer. Rappelons que la socialisation est un long processus qui nécessite le développement des habiletés motrices, langagières et cognitives permettant à l’enfant de contrôler ses pulsions et de faire preuve d’empathie.

Les enfants ont tant à nous apprendre : observons-les, comprenons comment ils pensent à la lumière des découvertes en neuropsychologie. Nous saurons ainsi mieux leur faire vivre leur petite enfance et les préparer aux étapes ultérieures de leur développement.

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BIBLIOGRAPHIE

Brazelton, B. Points forts : de la naissance à 3 ans, Éd. Stock-Laurence Pernoud, 1994.

CPE-BC MAGIMUSE. Ayoye! Dans mon groupe, y’a un crocodile! Capsule Soutien no 21 (consulté dans Internet en juillet 2023).

Filliozat, Isabelle. « J’ai tout essayé! » Poche Marabout. 2011.

Giber, Anaïs (2023). Enfant qui mord : les causes principales et les bons gestes à adopter dans

Dentaly.org. (consulté dans Internet en août 2023).

Junier Héloïse, Podcast Les enfants qui mordent, griffent, tapent. Les pros de la petite enfance.

4 décembre 2020 (consulté dans Internet en août 2023).

Lemay. Émilie. Les morsures : attention, petit crocodile en liberté. Cible Petite Enfance (consulté dans Internet en août 2023).

Martin, J., Poulin C., et I. Falardeau. Le bébé en services éducatifs. PUQ, 2009, p. 251.

Papalia, D. et G. Martorel. Psychologie du développement de l’enfant, 9e éd. 2018, p. 221.

Rousseau, Jessica. Comment intervenir avec un enfant qui mord? MamanÉducatrucs (consulté dans Internet en août 2023).


1Filliozat, Isabelle. « J’ai tout essayé! » Poche Marabout. 2011, p. 88.

2Brazelton, Points forts : de la naissance à 3 ans, Éd. Stock-Laurence Pernoud, 1994, p. 210.

3Tremblay, Richard cité par Diana E Papalia et G. Martorel dans Psychologie du développement de l’enfant, 9e éd. 2018, p. 221.

4Martin, J., Poulin C., et I. Falardeau. Le bébé en services éducatifs, PUQ, 2009, p. 251.

5La Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance (article 5.2) stipule que le prestataire… « ne peut, notamment, appliquer des mesures dégradantes ou abusives, faire usage de punitions exagérées, de dénigrement ou de menaces ou utiliser un langage abusif ou désobligeant susceptible d’humilier un enfant, de lui faire peur ou de porter atteinte à sa dignité ou à son estime de soi. Il ne peut également tolérer des personnes à son emploi de tels comportements. » Voir le Guide sur la prévention et le traitement des attitudes et des pratiques inappropriées du ministère de la Famille du Québec, 2018.

6Martin, J., Poulin C., et I. Falardeau. Le bébé en services éducatifs, PUQ, 2009, p. 255.

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