Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

LE BLOGUE

Enfant-roi? Vraiment?

Je suis éducatrice en CPE. Plus les années passent, plus je constate que les enfants prennent le dessus sur leurs parents. Je veux parler des enfants-rois. Comment agir avec eux ? Que faire avec les parents qui n’ont aucune ouverture par rapport à ce que je leur rapporte comme comportements inappropriés de leur enfant et qui n’appliquent aucune discipline?

Par Nicole Malenfant

Issus des temps modernes, le phénomène et l’appellation enfant-roi suscitent bon nombre de réactions. Exaspération, désolation ou confusion, tous les sentiments y passent en tant qu’éducatrice ou éducateur par rapport à des comportements d’enfants qui nous dépassent. Avec la popularité grandissante de l’éducation bienveillante, on assiste à un refus d’utiliser, et avec raison, une telle appellation par souci de préserver la dignité du jeune enfant au cerveau encore immature.

De quoi parle-t-on au juste?

Le concept de l’enfant-roi s’est répandu à vive allure depuis les années 1990. On n’a qu’à prêter l’oreille à ce qu’on en dit en garderie, à l’école ou en société pour constater sa présence encore bien tenace: « Pas étonnant qu’il soit égoïste, c’est un enfant-roi ! ». « Rien à faire avec elle, c’est une enfant-roi ! ». « Normal qu’il n’arrive pas à s’adapter; c’est un enfant roi ! » « Que voulez-vous que je fasse, c’est une enfant-roi. » Nul doute que les comportements associés au concept de l’enfant-roi semblent bien réels autant que celui de parents martyres ou valets qui y est associé.

À quelles caractéristiques est associé le concept d’enfant-roi?

À quoi peut-on reconnaître l’enfant-roi ? Comment le distinguer des autres enfants ? Le plus souvent, cet enfant est amené bien malgré lui à prendre des décisions qui relèvent de la responsabilité de ses parents. Par exemple, il décide quels vêtements porter même s’il ne peut juger de leur pertinence, il choisit le menu des repas, il décide de l’heure de son coucher, il brosse ses dents seulement s’il le veut, il organise sa journée et celle de ses parents. Cet enfant s’oppose aux règles que ses parents tentent de poser; il arrive même à les faire changer ou à les laisser tomber. Nous voilà en présence d’un enfant qui a appris que tout ou presque pouvait lui être permis. Malheureusement, cet enfant autant que ses parents se retrouvent tous deux perdants dans une telle situation. Ils risquent même de vivre des jours encore plus difficiles à l’arrivée de l’adolescence.

Des parents valets ?

S’il y a des enfants-rois, c’est qu’il existe des parents-valets. S’il y a des enfants tout puissants, c’est qu’il existe des parents impuissants. Ceux-ci s’empêchent, par exemple, de converser avec les adultes parce que leur enfant réclame toute leur attention; ils ne se font pas prendre au sérieux lorsqu’ils les réprimandent et lui font une demande. Ils ne mettent pas à exécution les conséquences annoncées, ils prennent les désirs de leur enfant pour des ordres. Ils sacrifient leur épanouissement personnel, ils n’ont pas une minute à eux et acceptent de négocier des heures durant avec leur enfant.

À qui la faute ?

Bien que les parents y soient pour quelque chose dans le phénomène de l’enfant- roi, les mettre au banc des accusés est à la fois la solution la plus facile qui soit et aussi la moins efficace. N’oublions pas que les parents ont bien souvent le mauvais rôle à notre époque moderne. On les accuse de trop en faire ou au contraire, de ne pas assez performer. Ils sont soit trop affectueux ou pas assez présents; trop conciliants ou trop autoritaires, trop sévères ou carrément mous. Bref, on croirait les parents incapables d’agir correctement. Quand valorisons-nous les compétences des parents et reconnaissons-nous concrètement leur importante contribution sociale ?

Les éducatrices et éducateurs seraient-ils aussi en cause dans l’amplification du phénomène de l’enfant-roi ? Que penser de la tendance que l’on observe chez certains d’entre eux à servir les enfants alors qu’ils pourraient le faire seuls, à toujours dire aux enfants quoi et comment faire sans jamais les amener à réfléchir par eux-mêmes, à répondre à leur place bien qu’ils soient aptes à le faire avec un peu plus de temps, à agir avant même que les enfants n’aient eu le temps de comprendre leur demande ? Une réflexion s’impose à ce qu’il paraît.

Un phénomène de société

Le traitement royal des enfants s’explique, entre autres, par l’émergence de la culture individualiste dans une société devenue très permissive. On assiste à un nivellement sans précédent des générations où papa, maman, grand-mère, ado et bébé, sont sur le même pied d’égalité. Ainsi, chacun a droit à son opinion et revendique le respect de sa différence. On se retrouve donc en présence de parents qui agissent en fonction de ce qui leur semble bon pour leur enfant. Plusieurs d’entre eux optent pour le style non interventionniste d’où l’émergence de bon nombre d’enfants-rois. Par ailleurs, nous pourrions parler de clients rois, de citoyens rois, de travailleurs rois qui défendent leurs droits sans pour autant assumer leurs responsabilités. La déresponsabilisation est la cause de bien des maux de société et le domaine de l’éducation ne semble pas y échapper.

Étiqueter l’enfant : un piège à éviter

La désignation enfant-roi tend à prendre une ampleur démesurée. Hélas, on la reprend à tort et à travers pour parler de comportements dérangeants, quels qu’ils soient : l’enfant qui fait des colères; qui ne se conforme pas aux consignes, qui se montre égocentrique, qui résiste aux changements, qui est anxieux au départ de ses parents, qui est déterminé, dépendant ou dérangeant. L’enfant qui ne se comporte pas comme on le souhaiterait n’est pas nécessairement un enfant-roi dans le sens que l’on entend.

Un enfant a le droit d’avoir des explications claires de la part des personnes éducatrices, de faire des choix appropriés à son âge et à la situation, d’apprendre par essais et erreurs, de réagir aux limites non raisonnables qu’on lui impose, d’exprimer ses sentiments avec intensité, d’apprendre à contrôler ses émotions, de verbaliser ses besoins et d’avoir des ratés.

À force d’étiqueter l’enfant de roi, de ne voir que le roi en lui, on risque de faire fi des autres aspects de sa personne, de ses forces et sa personnalité, de ses efforts et ses goûts.

Attention ! Une fois apposée, l’étiquette enfant-roi est difficile à déloger. Elle s’incruste insidieusement dans nos perceptions, nos paroles et nos croyances. Vite, elle devient une expression fourre-tout, une sorte de mythe. Une telle tendance menace l’estime de soi de l’enfant.

Cap sur l’objectivité

Observer avec objectivité les comportements et les actions de l’enfant, les décrire sans jugement ni interprétation hâtive est une tâche des plus exigeantes. « Cet enfant a besoin d’aide pour arriver à respecter la consigne. Lorsque je m’approche de lui, il comprend mieux. » Cela est une manière plus appropriée de rapporter les faits que de sauter aux conclusions : « Il n’est jamais capable de respecter la consigne. » L’objectivité et le discernement requièrent bon nombre de compétences professionnelles et de qualités personnelles notamment la volonté, la maturité affective, la persévérance et la connaissance du développement de l’enfant.

Les parents aussi peuvent apprendre

Il n’est pas facile d’amener les parents à distinguer les désirs de leur enfant de leurs besoins. Mais, avec tact, on y arrive souvent mieux: « J’ai remarqué que Olivier attend que je l’habille lorsqu’on se prépare pour aller dehors. Est-il capable de s’habiller seul à la maison ? » « Mia respecte mieux les règles à la garderie si je lui demande de me les répéter. Comment cela se passe-t-il à la maison ? ». « J’ai constaté que ça va mieux si Rosalie est prise en charge par vous lorsque vous venez la chercher. À partir de maintenant, je vais vous laisser vous en occuper en fin de journée. » La plupart des parents acceptent de collaborer si on les approche avec doigté et en leur faisant connaître le bien-fondé de nos demandes. Pourquoi ne pas miser sur les capacités des parents au lieu de les culpabiliser ?

Témoigner par la persévérance

Plusieurs parents cherchent des solutions qui apportent des résultats rapides. N’est-ce pas une attitude prévisible dans un monde où tout va très vite ? Pourquoi ne pas inviter les parents à plus de confiance et de persévérance envers leur enfant ? « Mathieu réussit maintenant à ranger seul ses jouets. On a travaillé fort tous les deux pour y arriver. Cela vaut la peine de continuer à la maison. » Si on ne peut forcer la motivation et la détermination des parents à utiliser leur pouvoir d’agir avec leur enfant, on peut néanmoins leur rappeler qu’ils ont tout ce qu’il faut pour jouer leur rôle de parent auprès de leur enfant. « Depuis que vous prenez le temps de faire des câlins à Sam avant de quitter la garderie le matin, je le sens plus confiant pendant la journée. Votre nouvelle façon de faire fait toute la différence ». « Avec des pantalons faciles à enlever que vous mettez maintenant à Florence, les petits accidents de propreté sont rares. » « J’apprécie les petits mots que vous écrivez dans l’agenda de Noah. Cela m’aide à mieux le comprendre surtout au retour de la fin de semaine. »

Miser sur le potentiel de l’enfant

Bien qu’il soit difficile de faire descendre de son trône un enfant-roi dont les comportements sont déjà bien installés au sein de sa famille, vous pouvez néanmoins l’aider à faire les apprentissages nécessaires à la garderie en fonction de son niveau de développement. La confiance que vous témoignez à l’enfant quant à ses capacités d’apprendre les règles de la vie en groupe et d’acquérir plus d’autonomie, le respect et la patience que vous lui manifestez face à sa personnalité et à sa famille sont gages de réussite. Qu’il soit considéré à première vue comme roi ou reine, prince ou princesse, un enfant reste un enfant. À la garderie, l’enfant a besoin de professionnels sensibles à sa condition de personne à part entière en plein développement et dotée d’un potentiel unique.